walk, walk fashion baby (meryl)

« Encore ? » Tu lèves les bras au ciel. Apparemment, les lecteurs aiment avoir des photos de street style, de gens dans la rue pris sur le fait, de gens vrais. Tu roules des yeux. C'est un article que toute l'équipe déteste parce qu'une fois que les gens apprennent que vous écrivez pour Vogue, ils en font des tonnes. Ça t'exaspère, même si au fond, tu sais que tu es comme eux : à enjoliver les choses, à mettre les meilleures apparences en avant. Ce monde est horriblement superficiel, mais c'est ce qui le fait tourner, aussi triste que ça soit d'ailleurs. Tu quittes ton bureau en roulant des yeux. Très bien, vu que c'est à ton équipe et à toi de t'y coller cette fois, tu vas trouver des gens, des vrais. « On devrait changer d'air, aller voir ce qui se cache à Byron Bay. On trouvera peut-être des perles. »

T'as décidé de venir près du phare, voir un peu les gens originaux qui ne se baladent pas simplement torse nu ou en bikini pour exhiber un corps qui a été façonné juste avant l'été. Tu scannes en fronçant les sourcils une personne qui sorte du lot, quelqu'un qui ne soit pas comme les autres. « Elle. La brune là-bas. » Tu pointes du doigt une jeune femme, elle doit avoir vingt ans tout au plus. Tu te précipites vers elle. « Excusez-moi ! » que tu t'écries au milieu de la digue. « Bonjour. » Tu sors ton sourire digne d'une campagne publicitaire pour une marque de dentifrice. « Je suis désolée de vous déranger en cette belle journée, mais vous auriez quelques minutes à nous accorder, à mon équipe et moi ? » Tu la regardes de haut en bas. Tu ne saurais comment décrire son style plus que ... particulier. Mais tu jubiles intérieurement. Pour sortir du lot, cette gamine, elle sort du lot. « On travaille pour Vogue sur un article sur le style de rue. Est-ce que ça vous dérangerait qu'on prenne quelques photos et qu'on vous pose des questions ? »

Tu bosses dans l'industrie de la mode depuis quatre ans. Mais tu t'y intéresse depuis ton adolescence. Tu peux voir en un coup d'oeil qui se force à avoir un style qui soit décalé et qui est naturel. Cette fille, elle a clairement quelque chose ... de différent. Tu crois qu'elle ne le fait même pas exprès. C'est sans doute pas au goût de tout le monde, mais c'est comme ça que le monde de la mode fonctionne. « Oui, vous ! » Tu ressors ton sourire. « De l'autre bout de la rue, j'ai pu voir votre sens du style. » Tu sors le charabia habituel pour flatter l'égo. En général, il y deux sortes de réactions à ça : soit la personne sourit bêtement pendant toute l'interview en te remerciant à chaque compliment, soit elle fait la blasée. Tu l'observes de haut en bas. Clairement, elle n'a pas fait exprès. Sans le savoir, cette petite a peut-être lancé la prochaine vague tendance. « Ca ne vous ennuie pas qu'on prenne quelques photos, n'est-ce pas ? » Et sur cette question, tu claques des doigts. Ton photographe, Kyle, se met en position, tel un ninja, l'objectif en main, prêt à tirer des portraits quand tu le lui diras. « Ne vous inquiétez pas, détendez-vous ! » Tu sors ta voix spéciale clientèle. Plus douce, plus mielleuse. Doublement plus fausse que tu ne l'est, d'habitude. Au fil des années, c'est devenu un réflexe de te comporter comme ça. C'est triste à dire, mais enfant, tu faisais déjà semblant celui qui est aujourd'hui ton fiancé. Apparemment, le destin aime l'ironie. Tu faisais semblant d'aimer des gens aux réceptions de tes parents, tu feignais l'extrême politesse. Aujourd'hui, c'est un masque que tu sors lors de galas et autres soirées mondaines. Et dans ce cas-ci, tu le sors aussi pour tes potentiels lecteurs du magazine.