i just wanna lose myself (dolly)

Un shot après l'autre. T'es assise sur un tabouret du bar et comme tous les derniers soirs de la semaine, tu bois. A chaque shot, tu te rapproches. A chaque shot, tu sens que ça se refroidit. A chaque shot, tu coules un peu plus. Bientôt, t'y seras, dans l'abysse. Bientôt, t'y seras, au fond.

Tu sais pas vraiment, c'est quoi ton but. Tu ne sais pas où tu veux en venir. Tu sais pas ce que tu veux prouver, ni même à qui. T'aimes même pas tout ce que tu ingurgites. T'aimes pas non plus ce bar miteux. Tu sais plus ce que t'aimes. Mais clairement, c'est pas ça, pas ça du tout. T'as besoin de prendre l'air, tu crois. Ça fait des heures que t'es postée à boire pour déglinguer ton foie, pour déglinguer ce qu'il reste de ta vie. Tu fais pitié Mina, t'as à peine dépasser la vingtaine que tu parles comme une femme qu a vécu des atrocités dans la vie. Il t'est rien arrivé à toi, t'es juste faible et fragile. Trop docile, un animal que tout le monde arrive à dompter. T'es une gamine de merde, voilà ce que t'es, Mina.

Tu sautes de ton tabouret. Tu manques de t'écraser la face au sol, mais tu tiens le coup. Enfin, t'essaies. Tu titubes jusqu'à la porte du bar. Tu dois faire peine à voir comme ça, à essayer d'aligner deux pas sans tomber. T'es une épave, Mina. Tu poses ta main à plat sur la porte. Tu l'ouvres, t'y arrives pas sans mal. T'es plus bonne à rien, un déchet. T'inspires. L'air de la nuit te pique les poumons. Y a tout qui pique maintenant de toute façon. Y a rien qui va. Tout qui part en vrille. Et toi, tu dégringoles.

Tu fais quelques pas sur la droite, mais tu ne vas pas bien loin. Tu t'adosses au mur. Et tu te laisses glisser. Accroupie, le dos au mur, tu lèves la tête vers les étoiles. Tu soupires. Merde, Mina, qu'est-ce que tu fous ?!

Ce soir, y a les étoiles qui brillent. Y en a aucune pour toi, Mina. T'es pas assez bien pour ça. Tu mérites pas d'avoir une bonne étoile qui veille sur toi. Tu mérites pas d'avoir une constellation pour te guider. Tu mérites même pas d'avoir un si beau ciel au-dessus de toi.

Tu repasses ces dernières semaines en revue. Tu sais que t'as pas été la fille idéale. Niveau amitié, on repassera aussi. T'as été infecte avec Enalya. La seule que tu voyais de temps à autre, c'était Cosima. Et même avec elle, t'as pas toujours été la plus sympa. Tu l'utilisais comme excuse pour aller boire encore plus. T'es loin de tout ce que t'étais. Ce soir, t'es la débauche. T'es le mal. T'es dans le mal. T'aurais aimé reparler à Ted. T'aurais aimé avoir des réponses, savoir si tu lui plaisais plus comme ça, comme une vilaine, une moins que rien. Savoir s'il t'avait assez souillée avec ses quelques mots. Parce que oui, c'est lui, la cause de tout. La cause de ta descente aux Enfers. Ton voisinage parlait toujours de toi comme d'un petit ange, la fille d'à côté, toujours prête à aider, à servir.
Ça fait quelques semaines que tu es tombée, ange déchu.

Tout ça à cause d'un homme. Un homme que tu ne connais que très peu qui plus est. T'es trop influençable, Mina. T'es une vraie faible, au fond. Tu voudrais partir, sans te retourner. Ne plus avoir de compte à rendre à quiconque. Ne plus prétendre être gentille ou méchante. Juste ... Ne plus prétendre. C'est ce que tu voudrais, mais tu sais pertinemment que du haut de tes vingt-et-un ans, tu ne sais pas faire grand chose et avec zéro économie en poche, tu n'iras pas bien loin. Tes connaissances du monde sont limitées à la ville et sa périphérie. En dehors, tu te ferais bouffer, t'en es certaine.

Une blonde interrompt tes pensées. Tu ne sais pas depuis combien de temps elle est là. « Physiquement ? Non. Mentalement ? Complètement tarée, ouais. » Tu dis ça comme si tu lui demandais comment ça allait. Tu sais que tu perds les pédales, tu t'en rends bien compte. T'as perdu tous tes repères, Mina, tu ne sais pas très bien ce que tu fais. Enfin, si, tu sais ce que tu fais n'importe quoi. Rien que voir ton état est une preuve. Complètement éméchée, qui peine à garder l’équilibre et qui empeste l'alcool, c'est pas beau à voir.

Elle te tend son joint. Un vice de plus ou de moins, qu'est-ce que ça change ? Tu le saisis de ta main droite. T'en as jamais fumé. « Merci. » T'as même jamais fumé de cigarette. Pourtant, tu le portes à tes lèvres. Et t'inspires. Tu tousses. Tu tousses encore. Tu recraches toute la fumée d'un coup. T'as l'habitude de remplir tes poumons comme ça, ton corps non plus. Après avoir recraché tes poumons, tu redresses la tête vers l'inconnue. « Y a sérieusement des gens qui fument ça tous les jours ? » Fais gaffe, Mina, y a ta naïveté qui ressort.